Quiet quitting en France : toutes les clés pour comprendre le phénomène et son impact au travail
« Je reste… mais je démissionne ! »… Dans la tête du quiet quitter français.
Le quiet quitting en France : buzzword, effet de mode ou vraie tendance de fond ?
Passionnant à étudier, le phénomène n’a pas livré tous ses secrets.
Dans mon cabinet d’Exécutive coaching, je reçois un nombre croissant de leaders déboussolés par ces nouveaux challenges.
Je les aide à retrouver le cap, en leur permettant de décoder ce qui se joue derrière les apparences pour mieux y faire face.
Retour sur ce phénomène caractérisé en occident et état des lieux dans l’hexagone en quatre temps :
La démission silencieuse, un phénomène de société venu d’outre-Atlantique
La vague ne vous a sûrement pas échappée…
Originaire des USA, le phénomène du quiet quitting -ou démission silencieuse- s’est massivement infiltré dans les bureaux français après la Covid. Imbriqué dans la vague de la grande démission de 2022 qui avait vu le départ de près de deux millions de salariés dans l’année, il en est son prolongement plus docile.
Après un buzz extraordinaire essaimé via TikTok en août dernier, les choses semblent se tasser ou retourner dans l’ombre. Dans cette courte vidéo virale, l’ingénieur et musicien Zaid Khan, alias Zaidleppelin, proclamait refuser d’en faire plus que nécessaire :
« Le travail n’est pas la vie, et la valeur d’une personne ne saurait être définie par son taux de productivité ».
Il n’en fallait pas plus pour que l’hashtag #quietquitting s’enflamme.
Le vingtenaire (oui, ça se dit !) définit le quiet quitting comme un engagement minimal envers son travail. Le strict respect de sa fiche de poste, en somme.
Apparemment donc, la rébellion est discrète : les termes du contrat sont respectés, l’entreprise tourne. En surface, pas de bulle.
Et alors ?
Et alors, la rupture est bien réelle, du moins en terre anglo-saxonne.
Dans une culture d’entreprise où dépasser les attentes de la hiérarchie et en faire toujours plus (going the extra mile) constitue la norme… Là où ne pas compter ses heures, priser le team-building et faire de l’entreprise une seconde famille est implicitement attendu de tous… Dans une société où la productivité et les performances professionnelles d’un individu semblent en grande partie le caractériser…
Dans un tel paradigme, ne pas se surpasser constamment revient, dans l’idée, à… démissionner, et souvent être taxés de loser.
Dans ce contexte, refuser de faire du travail l’aune de sa « réussite » s’apparente à un acte de résistance devenu phénomène de société.
Qu’en est-il en France ?
Le quiet quitting en France : quel impact ?
Selon une étude du Forum de Davos (Forum économique mondial), près de 40 % des employés dans le monde ont envisagé de quitter leur emploi en 2021, et beaucoup d’entre eux ont finalement opté pour le quiet quitting.
La COVID semble avoir joué un rôle clé.
Avec la pandémie, les travailleurs ont été confrontés à des défis exacerbés comme le travail à distance, l’épuisement professionnel et les problèmes de santé mentale, qui les ont amenés à repenser leurs priorités et à rechercher des opportunités d’emploi plus flexibles et plus porteuses de sens.
En France, cette tendance s’observe également. Toutefois, les chiffres sont plus durs à estimer en raison de la nature discrète du phénomène.
Comment se traduit cette démission masquée dans l’hexagone ?
Ici, la culture d’entreprise diffère quelque peu…
Si « Me tuer à la tâche ? Plus jamais ! » pourrait être le mot d’ordre des quiet quitters américains, « En faire plus ? À quoi bon ? » pourrait être celui de leurs homologues français.
Concrètement, les quiet quitters français refusent :
- d’assumer le travail de collègues absents
- d’accomplir les tâches ingrates dont personne ne veut
- les heures sup’
- les sollicitations en dehors de heures de travail
- les coups de collier dans l’espoir d’une promotion ou de plus de reconnaissance
- le chantage à l’urgence permanente
Ces employés mettent en place des barrières strictes entre leurs vies professionnelle et personnelle pour se prémunir contre le stress d’un rythme de travail élevé et le désenchantement du manque de gratitude ou de gratification.
Le travail, une passion française ? Sondage révélateur et pistes d’amélioration
Un sondage IFOP de 2023 clarifie la « passion » des Français pour leur travail.
58 % l’envisagent comme une contrainte nécessaire pour subvenir à leurs besoins et 42 % seulement le considèrent comme un moyen d’épanouissement.
Par ailleurs, ce mouvement résonnerait davantage parmi la génération Z et celle des milléniaux, qui refusent le burn-out de leurs aînés et aspirent à un réel équilibre entre les sphères professionnelles et personnelles.
Les professionnels des Ressources Humaines doivent apprendre à composer avec cette nouvelle donne.
Pour créer un environnement de travail propice à l’engagement des collaborateurs, il est essentiel de prendre en compte leurs attentes. Des questionnaires et des ateliers collaboratifs peuvent aider à comprendre les attentes des employés en matière de qualité de vie au travail.
Quelques bonnes pratiques pour éviter le quiet quitting pourraient inclure :
- une meilleure prise en compte des souhaits des collaborateurs
- une attente réaliste quant au rôle du travail dans l’absolu (dans quelle mesure le travail doit-il épanouir l’individu ?)
- l’injection de sens à chaque décision qui impacte l’organisation du travail
- la vigilance du rythme des changements organisationnels (plus ils sont fréquents, moins les collaborateurs en comprennent le sens)
- le développement d’un temps et d’un espace de délibération entre les équipes (renforcer la participation et l’inclusion de chacun)
- la mise en place un nouveau modèle managérial plus axé sur la confiance et la reconnaissance
- l’élargissement de l’offre de flexibilité (travail hybride, horaires souples)
- l’implication accrue dans des actions de RSE (responsabilité sociale et environnementale)
Pour une bonne entente, il semble que les attentes des deux parties, collaborateurs et direction, doivent être réévaluées afin de définir ou de REdéfinir la nature des obligations professionnelles, mais aussi la place et le rôle du travail dans la vie d’un individu.
Pandémie mondiale, tendance inflationniste, catastrophes naturelles, guerre aux portes de l’Europe… L’évolution des mentalités sur la relation au travail nait d’un cocktail de raisons qui ont conduit à l’affermissement de l’individualisme, à la dénonciation des pratiques managériales abusives et du bon vieux « On a toujours fait comme ça ! ».
Pour conclure, un tableau édifiant sur le rapport au travail !
Mais n’allez pas croire, pour les Français, le travail reste important.
Les chiffres des sondés sont stables malgré une légère baisse. Ils étaient 92 % à trouver le travail important en 1990, et 84 % en 2022.
Mais est-il toujours très important ? Là réside le cœur de l’histoire.
60 % des Français le considéraient comme tel en 1990. Ils ne sont plus que 21 % en 2022… et ce, peu importe le genre, l’âge et la catégorie socio-professionnelle. Dans toutes les cases, le pourcentage chute aux alentours de la vingtaine.
Même l’usine du monde, la Chine, semble touchée par cette revue à la baisse des ambitions professionnelles. Là-bas, le Tangping, ou le fait de s’allonger par terre, a vu le jour en 2021 comme une forme de protestation contre le surmenage et le culte du travail.
Mais retournons en France et concluons par un graphique édifiant.
En à peine plus de dix ans, on assiste à un renversement radical de l’opinion.
En 2008, 62 % des Français préféraient gagner plus d’argent et avoir moins de temps libre.
En 2022, c’est tout l’inverse : 61 % préfèrent gagner moins et avoir plus de temps libre ! Voilà qui déraille totalement des incitations Travailler plus pour gagner plus…
Nuançons tout de même les faits. Cette nouvelle appréciation est très marquée dans le segment des salariés, notamment chez les femmes (64 %) et les catégories supérieures (72 %).
Les points clés à retenir :
« Je n’en fais pas plus que ce qu’indique ma fiche de poste. » Voilà ce que pourrait répondre un quiet quitter français à qui lui demanderait d’expliquer son désengagement au travail.
Progressif et silencieux, le quiet quitting est un véritable défi pour les dirigeants, les RH et les managers. Parfois difficile à détecter, il peut avoir des conséquences néfastes sur la productivité et la cohésion des équipes.
En 2022, l’écrasante majorité des participants à un sondage affirmaient désormais préférer avoir plus de temps libre et moins d’argent… Voici donc un déplacement net du centre de gravité des motivations des individus, qui va sans doute de pair avec une plus grande affirmation de leurs facteurs de bien-être.
Le fait de cloisonner plus fermement vie pro et perso, et ne plus faire déborder la première sur la seconde va-t-elle se transformer en nouvelle philosophie du travail en France ?
Progressif et silencieux, le quiet quitting est un véritable défi pour les dirigeants, les RH et les managers. Parfois difficile à détecter, il finit par avoir des conséquences néfastes sur la productivité et la cohésion des équipes.
Le rôle des leaders et des RH est crucial pour prévenir le désengagement éphémère ou durable des employés français dans les mois et les années à venir.
Caroline Hercz
Executive Coach